triangles-roses.org. La persécution des homosexuels sous le régime nazi.

   
Projet de monument commémoratif pour les
victimes homosexuelles des nazis
de Patrick Forrest


Origines du projet

Lors d'un voyage effectué à Amsterdam (Pays-Bas) durant l'hiver 2001, j'ai eu l'occasion de visiter les différentes attractions de la ville, dont le monument dédié aux victimes homosexuelles de la Deuxième Guerre mondiale.
L'Homomonument[1], tel qu'il est surnommé, consiste en un espace publique (Westermarkt) au milieu duquel est disposé un assemblage de trois triangles de granit rose[2]. Cet espace, intégré à la trame urbaine, est régulièrement l'hôte de cérémonies de commémoration et d'activités communautaires.
Suite à mon retour au Québec, j'ai amorcé une réflexion sur les victimes homosexuelles du nazisme et le sort qui leur fut réservé dans l'après-guerre. Les quelques [rares] bouquins abordant la question m'ont permis d'approfondir mes connaissances et de renforcer mes convictions quant à l'importance de perpétuer leur mémoire. J'ai donc effectué quelques recherches afin de recenser l'existence de monuments semblables en Amérique du Nord. Je n'ai pu en dénombrer aucun[3]. La singularité de ce type de construction n'est que le corollaire d'une ignorance des événements ayant affectés notre communauté. Combien de personnes ont-elles été internées dans des camps de concentration pour cause d'orientation sexuelle et qui n'y ont pas survécues? Entre 5,000 et 15,000 selon Lautmann[4], 50,000 selon Colin Spencer[5] ou 1,000,000[6] selon Heinz. De nombreux facteurs expliquent les écarts entre les estimations effectuées par les auteurs. D'abord, les statistiques concernant le nombre de victimes varient grandement puisque peu d'historiens se sont intéressés à la question. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l'homosexualité était un délit susceptible d'emprisonnement en France, en Allemagne, aux États-Unis et au Canada. La question a donc été peu abordée, créant de facto une ségrégation entre les différentes catégories de victimes. De plus, l'absence de lobbies a constitué un frein important à la reconnaissance des préjudices subis par les gais et lesbiennes. Aussi, les membres de la communauté étaient majoritairement composés d'invidus célibataires; ils n'avaient donc pas de famille pour exiger des informations et des réparations, comme ce fut le cas pour les autres victimes. Le sujet était tabou à l'époque et nombreux étaient les survivants à cacher la raison de leur détention. Ces faits expliquent, en partie du moins, l'imprécision qui entoure les données sur le sujet. Heureusement, au cours des dernières années, la littérature s'est enrichie de plusieurs ouvrages visant à éclaircir cette partie de notre histoire pour que les atrocités commises par le passé ne sombrent pas dans l'oubli. Les différents éléments énumérés ci-haut m'ont amené à réfléchir à la pertinence et à la faisabilité d'un monument dédié aux victimes homosexuelles de la Deuxième Guerre mondiale qui allierait à la fois les fonctions commémorative et récréative. Le résultat de cette réflexion fut la conceptualisation de ce projet, lequel se veut à la fois un pont entre le passé et le futur, au service de notre communauté. Bref, il s'agit d'un point de rassemblement qui soit à notre image : vivant, animé et humain.


Contextualisation du projet

La conjoncture économique et politique actuelle favorise la réalisation de projets à forte valeur ajoutée. D'ailleurs, la revitalisation du Village et la volonté de prolonger son territoire vers l'Est semblent faire consensus au sein de la communauté. Cinq facteurs retiennent ici notre attention : la disponibilité du terrain, l'élargissement du village, la présence d'acteurs influents, la tenue d'événements d'envergure dans un proche avenir et le rayonnement de Montréal à l'échelle internationale. D'abord, la majorité des organismes communautaires sont en faveur de la réhabilitation des espaces vacants adjacents au pont Jacques-Cartier. Ceux-ci sont relativement nombreux : leur aménagement pourra contribuer non seulement à rehausser l'esthétique du quartier, mais aussi à augmenter la qualité de vie des citoyens. Le terrain vacant situé au Sud-Est du carrefour Ste-Catherine/De Lorimier serait l'endroit idéal pour ériger le monument. Nous y reviendrons un peu plus loin.
À plusieurs reprises au cours des derniers mois, plusieurs acteurs et représentants du milieu communautaire et des affaires ont fait savoir leur intérêt dans la prolongation du Village vers l'Est, au-delà du pont Jacques-Cartier en vue d'en favoriser le développement. Le mérite du présent projet est de servir de point d'ancrage entre les deux parties du village, en plus de mettre en valeur les établissements commerciaux de proximité. La mise en chantier de ce parc commémoratif pourrait constituer l'élément déclencheur de ce mouvement d'élargissement vers l'Est, en plus d'augmenter la valeur des édifices environnants. Nombreux sont les locaux à louer et les terrains à vendre dans le secteur; ceux-ci verraient leur valeur et leur achalandage augmenter sensiblement; ce serait alors l'occasion de redynamiser le patrimoine urbain de cette partie de la rue Ste-Catherine.
Plusieurs acteurs, à la fois institutionnels et gouvernementaux, ont fait connaître leurs intentions d'investir dans le secteur. Entre autres, la ville de Montréal et l'arrondissement de Ville-Marie investiront prochainement dans l'aménagement de la rue Ste-Catherine et des abords du pont Jacques-Cartier. Les possibilités de collaboration avec les palliers supérieurs gouvernementaux se trouvent augmentées dès lors il y a existence d'un consensus au sein de la communauté quant à l'appropriation de cet espace urbain en vue de le transformer en un symbole vivant et représentatif de l'histoire des gais et lesbiennes. Le Village accueille annuellement des événements qui connaissent beaucoup de succès : Festival des arts du Village, Black and Blue, Fierté Gaie, etc. Le parc commémoratif pourrait certainement être utilisé à des fins de célébration pour la tenue de certaines activités. Par ailleurs, deux événements majeurs auront lieu dans les trois prochaines années. L'année 2005 sera l'hôte du 60ième anniversaire de la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Plusieurs cérémonies auront lieu à ce moment pour souligner ce triste anniversaire. Montréal pourra alors commémorer la mémoire des victimes homosexuelles du régime nazi d'une manière toute particulière. Dans un tout autre registre, notre métropole sera l'hôte des 7e Jeux gais qui auront lieu en 2006 et accueillera des athlètes des quatres coins de la planète. Le parc du Monument pourra alors servir de lieu de rassemblement et pourra accueillir divers événements dans le cadre des festivités. La présence à Montréal d'un tel monument entraînerait évidemment de grandes retombées économiques. Sa singularité en ferait certainement une attraction touristique majeure et renforcerait l'image de ville tolérante et dynamique que projette notre métropole à l'échelle internationale.
Finalement, la réalisation du projet, de son élaboration à sa concrétisation, nécessite de la préparation, du temps et des ressources financières. Compte tenu des délais imposés par d'éventuelles levées de fonds et ceux occasionnés par la construction et l'aménagement du monument et du parc adjacent, il est réaliste de penser que l'ensemble sera prêt d'ici 2005, à temps pour accueillir les événements majeurs qui s'annoncent.

Description du monument


Un prisme, au sens géométrique du terme, dévie et décompose les rayons lumineux. Ce principe de physique m'a grandement inspiré dans la réalisation de ce projet. Le monument se présente donc sous la forme d'un prisme à base rectangulaire duquel émerge un trait de lumière en pente ascendante. Cette plateforme se subdivise en six parties, chacune évoquant une couleur du drapeau arc-en-ciel, symbole de la communauté gaie et lesbienne.
La deuxième partie du monument est dédiée aux victimes homosexuelles du régime hitlérien et se compose de trois figures abstraites qui prennent place sur le trait de lumière. La première figure représente un individu recroquevillé sur lui-même. Il symbolise la douleur, la honte et la souffrance, l'humiliation qu'eurent à subir les victimes dans les camps de concentration. La deuxième figure reflète la volonté et le courage de se soustraire à l'oppression, de s'affranchir des fers. Elle est en voie de se lever. La dernière figure représente l'individu, libéré, les bras embrassant le ciel. Ce monument ne se veut pas seulement une sombre relique d'un passé pas si lointain. Au contraire, il se veut avant tout contemporain et représentatif du milieu dans lequel il est implanté. S'il trouve son essence dans les souffrances passées, il puisse sa vitalité dans le dynamisme actuel dont font preuve les gais et lesbiennes. Les trois personnages qui harnachent le monument représentent donc à la fois le cheminement d'un individu vers l'affranchissement et la dignité, mais aussi le combat d'une communauté en faveur de la reconnaissance pour ses membres des mêmes droits et privilèges civiques que la population hétérosexuelle.


Éléments esthétiques et matériaux


Le prisme est constitué entièrement d'une structure en cubes de verre translucides. Tant les surfaces inclinées que les côtés présentent la même finition. La transparence du verre permet l'installation à l'intérieur du prisme d'une source lumineuse de couleur rouge. Le soir, une atmosphère rougeâtre irradierait donc cette partie du monument. La plate-forme sur laquelle prennent place les personnages est constituée de six strates superposées en béton, chacune arborant une couleur du drapeau arc-en-ciel. Une tranchée peu profonde –recouverte d'une grille- est aménagée tout autour du monument afin de permettre l'installation d'un éclairage approprié qui puisse mettre le monument en valeur. La lumière qui est émise autour de la plate-forme est de couleur bleue. Le choix des couleurs, tant pour la structure que pour l'éclairage, n'est pas fortuit. Il s'agit de symboliser par le rouge la douleur et la souffrance vécues, et par le bleu, la paix et la dignité retrouvées. Ce choix permet ainsi de renforcer l'impression d'antinomie entre l'arrière et l'avant du monument. L'aménagement de l'espace contigu se veut à la fois fonctionnel et ouvert. L'utilisation du pavé uni est priviligié tout autour de la construction. Cependant, cette surface ne doit pas excéder plus de 50% de l'espace disponible et ce, dans le but de réserver un espace de verdure pour les citoyens et favoriser ainsi la plantation d'arbres et de bosquets. Une zone tampon composée d'un mur végétal anti-bruit pourra être aménagée le long de l'artère De Lorimier dans le but de diminuer la pollution sonore qui provient de cet axe routier.
Des lampadaires, spécialement conçus pour être intégrés au site, sont installés autour du monument. Inspirés du Jardi de la Villa Cecilia de Barcelone (Espagne), ceux-ci se veulent à la fois légers et fonctionnels. Ainsi, un banc est intégré à la base du lampadaire, offrant une surface assise pour trois personnes. Afin de permettre un éclairage bi-directionnel, la source lumineuse est installée à l'intérieur d'un prisme rectangulaire recourbé; tant le sol que le paravent installé au sommet seront éclairés. Le paravent est constitué d'une membrane de polymère bleutée qui permet de rediriger la lumière vers le sol et de créer une atmosphère feutrée dès lors il y a pénombre.


Localisation

Compte tenu de la raréfaction des espaces vacants dans le village, le terrain situé immédiatement à l'Est du pont Jacques-Cartier et à l'Ouest du stationnement de Télé-Québec est le lieu idéal pour la réalisation de ce projet . ( Cliquez sur le lien pour afficher les cartes ). Cet endroit a l'avantage d'être situé dans l'axe de prolongement du Village, dans un secteur dépourvu de parc récréatif et commémoratif. L'aménagement de ce terrain vague permettrait ainsi d'embellir un secteur qui se caractérise par la présence d'industries et de nombreux espaces à louer ou à vendre.
Les quadrilatères situés entre St-Hubert et De Lorimier connaissent une forte densité de l'espace bâti. Les commerces de la rue Ste-Catherine exercent principalement des activités de nature commerciale, comme le démontre la deuxième carte. D'ailleurs, peu nombreux sont les locaux disponibles dans ce secteur. De plus, les places publiques sont rares et exiguës. viennent ponctuer le paysage. Quant aux espaces verts situés en périphérie (Parc Viger, Métro Papineau, etc.), ils ne sont pas utilisés à des fins communautaires et ne sont fréquentés que par un faible segment de la population. Il existe donc un véritable besoin pour un espace qui puisse accueillir des activités sociales et qui puisse permettre aux gens de se rencontrer. De plus, la création d'un parc commémoratif assorti d'un espace vert au coin des rues Ste-Catherine et De Lorimier permettrait de diminuer la densité du secteur en plus de constituer un pôle attractif pour les habitants. Les nouveaux commerces qui s'établiraient à proximité pourraient alors bénéficier d'un achalandage accru.


Conclusion

L'objectif de cette étude est de sensibiliser les décideurs et membres influents de la communauté de la nécessité de commémorer les événements survenus il y a un demi-siècle. La rareté de ce type de monument, ainsi que sa singularité en font un projet unique. Sa réalisation constitue aussi une réponse au développement commercial intense que le quartier connaît en ce moment. La viabilité de ce projet dépend largement du soutien de la communauté; il n'en tient qu'à elle d'en promouvoir la construction.


L'auteur

L'auteur de ce projet est détenteur d'un baccalauréat en études internationales de l'Université de Montréal. Il poursuit actuellement ses études en géographie humaine au niveau de la maîtrise auprès de cette même université. Ce projet fut entrepris par intérêt personnel, avec le soucis que cette contribution puisse éventuellement bénéficier à l'embellissement du quartier et à l'amélioration de la qualité de vie.


Annexe I : Homomonument, Amsterdam

Inauguré le 5 septembre 1987, l'Homomonument honore la mémoire des victimes homosexuelles du régime nazi décédées dans les camps de concentration et symbolise le combat contre l'oppression et la discrimination que subissent les gais et lesbiennes. Il est situé sur le Westermarkt à Amsterdam, Pays-Bas. Encore aujourd'hui, il est le seul monument dédié au combat pour la libération des gais et lesbiennes. Le projet de Karin Daan consiste en un amalgame de trois triangles en granit rose[7], lesquels représentent le symbole qui était cousu sur les vêtements des homosexuels internés dans les camps de concentration. Selon Madame Daan, chaque triangle incarne le concept temporel du présent, du passé et de l'avenir. Ceux-ci s'imbriquent les uns dans les autres pour ne plus former qu'un seul grand triangle dont les angles pointent chacun en direction d'un lieu symbolique : l'un est dirigé vers le musée Anne Frank, un autre s'abaisse au niveau du canal Keizergracht pour servir de quai, tandis que le dernier pointe le Dutch Gay Liberation mouvement. L'ensemble sert évidemment de place publique et de lieu de célébration.


[1] Voir l'annexe I pour plus de détails.
[2] Ce symbole fait référence aux triangles roses qui étaient cousus sur les vêtements des prisonniers (ères) homosexuels (elles) des camps de concentration.
[3]Le seul monument que j'ai pu recenser ne concerne pas les victimes de la Seconde guerre mondiale, mais représente plutôt un hommage de la part d'un particulier à son compagnon de vie. Voir l'annexe II pour plus de details.
[4] Duberman, Vicinus, Chauncey, Edited by. Hidden from history : Reclaiming the gay and lesbian past. Meridian, New York. NAL Books. 1989.
[5] Spencer, Collin. Histoire de l'homosexualité : de l'Antiquité à nos jours. Le pré aux Clercs, Paris. 1998
[6] Heinz, Heger. Les hommes au triangle rose : journal d'un déporté homosexuel : 1939-1945. Persona, Paris. 1981.
[7] Les dimensions de ceux-ci sont de 10 mètres X 10 mètres X 10 mètres. Ensemble, ils forment un triangle de 36 mètres.



 

 
PROJET DE MONUMENT COMMÉMORATIF POUR LES VICTIMES HOMOSEXUELLES DES NAZIS.
L'auteur de ce projet, Patrick Forest, peut être contacté à l'adresse suivante :
retour haut de page
                     
                     
accueil textes photos archives liens actualité courrier plan du site contact FAQ forum