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Ils tentaient de survivre, comme les autres citoyens de la France occupée, lorsque la police vint les prendre. Humiliés, fichés, brutalisés, spoliés de leur liberté, par un régime honteux, qui les promit à l'horreur des camps allemands. Mais la déportation ne suffisait pas. Dans leur monstrueuse entreprise, les nazis firent en sorte qu'ils continuent d'être humiliés, d'être stigmatisés, d'être brutalisés, insultés. Le seul pêché de ces hommes était d'aimer d'autres hommes. Ils devaient porter le triangle rose. Des milliers d'entre eux ne revinrent jamais de ces camps sordides, dans lesquels, derniers d'entre les derniers, la haine des gardiens s'ajoutait à celle des autres victimes. Il furent assassinés deux fois : par leurs bourreaux, puis avec la complicité du silence, par l'oubli de la France.
Les nazis ont aussi perverti l'éthique et la morale des survivants. Leur propagande infâme a pollué les esprits les plus sains, en faisant croire à toute une nation que l'eugénisme était légitime. Le travail fut si bien fait que dans les camps comme au sein de la résistance, on régurgita les théories nazi contre l'homosexualité. Le honteux régime de Vichy avait imposé des lois anti-juives, mais aussi anti-homosexuels. A la libération, la pernicieuse influence des nazillons français portait ses fruits : la haine eugéniste contre les homosexuels continua. On persécutait encore les malheureux que pourtant, la Révolution Française en 1791, confirmée par le Code Napoléon, avaient libérés des haines de l'ancien régime. Il y eut même des malheureux pour voter en 1960, le honteux aggravement des lois contre les homosexuels, désignés comme fléaux sociaux.Oui, c'est un fait historique incontestable, l'état français s'est conduit de manière indigne à l'égard des homosexuels, partant de Vichy en 1942, jusqu'à l'abolition des lois scélérates, en 1982. Il a fallu la stature de Jean-Pierre Michel et d'un parlement guéri des séquelles de la propagande eugéniste, pour enfin revenir aux idéaux de la République, que lui avaient choisi ses fondateurs. Faut-il pour autant condamner des égarements que l'occupant a provoqué ? Non. Nous devons avoir la force de pardonner à ceux que les nazis ont meurtri dans leur âme et dans leur vie. Mais nous ne devrons jamais oublier, pour que jamais pareille horreur ne revienne.Nous devons d'autant moins oublier qu'aujourd'hui encore, les sombres clameurs de la haine eugéniste ou religieuse se font encore entendre partout dans le monde. En Malaisie comme en Egypte, on emprisonne comme on l'a fait en 40. En Afghanistan, au Zimbabwe, en Equateur, en Roumanie, en Namibie, en Gambie, la bête immonde stigmatise, emprisonne, torture, et tue les homosexuels. A telle enseigne que le Parlement Européen a voté le 6 avril dernier une résolution s'indignant contre les appels à la haine anti-homosexuelle du président namibien. Aujourd'hui comme hier, pourtant, la France tourne le dos aux malheureux qui, meurtris dans leur chair et leur âme, cherchent refuge dans la patrie des Droits de l'Homme : à ce jour encore, notre nation n'a pas encore la grandeur de reconnaître le calvaire des réfugiés homosexuels, et leur dénie l'asile humanitaire, en dépit de l'évidence. Notamment les lois locales pénalisant l'homosexualité comme l'avait fait le régime de Vichy, souvent de la mort.
La France vient toutefois enfin, par la voix de son premier ministre Lionel Jospin, de sortir de la honte du mensonge eugéniste nazi, et du déni de mémoire qui en résultait. Un geste d'honneur et de réconciliation nationale, des paroles dignes, attendues depuis bien longtemps. Un pas dans la bonne direction."En ce 26 avril - trois jours avant la Journée de la Déportation -, je tiens à honorer le souvenir de toutes les victimes des persécutions nazies et à rendre hommage aux combattants de notre pays qui ont eu le courage de résister à l'occupant et de dire "non" à l'inacceptable."[...]
"Nul ne doit rester à l'écart de cette entreprise de mémoire. Il est important que notre pays reconnaisse pleinement les persécutions perpétrées durant l'Occupation contre certaines minorités - les réfugiés espagnols, les tziganes ou les homosexuels." (intégralité disponible sur http://www.premier-ministre.gouv.fr/fr/p.cfm?ref=22712&d=1>)
Demain dimanche 29 avril, la France se souviendra de ses martyrs, de tous ses enfants emprisonnés, parqués dans les camps, blessés, assassinés par les nazis, et leurs valets du régime Pétainiste. Pour la première fois, les triangles roses seront là aussi, invités par la nation pour se souvenir dans la dignité du martyre de ces hommes, assassiné par le déni des associations chargées de la mémoire. S'il s'en trouvaient pour manifester leur homophobie, nous devrons rester dignes, et leur pardonner un tel égarement, séquelle de l'abominable propagande nazi. Victimes du lavage de cerveau des dialecticiens du Reich, ils méritent notre pitié, et la patience qu'on réserve aux grands malades. Assez de haine.
Les guerres ne tuent pas que sur les champs de bataille. C'est pourquoi mon arrière grand père a fait graver le nom de son épouse, Emma Bujardet, sur le Monument aux Morts de 14-18 de la Forêt du Temple, avec cette mention : "Morte de chagrin". Elle est ainsi la première femme mentionnée sur ce type de monument. Elle avait perdu six enfants sur les sept qu'elle venait d'élever. En ce jour de mémoire, n'oublions pas toutes ces mamans qui n'ont jamais revu leurs enfants, tués par la haine. Combien sont-elles mortes, le coeur brisé ?
Je serai avec les personnes accompagnant le dépôt de la gerbe par les associations homosexuelles le dimanche 29 avril 2001 à 17 heures sur le Pont de l'Archevêché, angle Quai de la Tournelle, Paris 5è, Métro Maubert-Mutualité. Pour qu'on n'oublie jamais.
Michel Bujardet, Citoyen http://mbu.multimania.com
PS : Pour plus d'information sur la déportation homosexuelle, quelques sites ; http://perso.club-internet.fr/kenone/deportation.htm http://www.rg-online.org/gay.html (Dispositions anti-homosexuelles votées par Vichy et confirmées par la suite, et commentaires sur la jurisprudence) http://swade.net/swadepages/symbols.htm (Origin of Gay & Lesbian Symbols, en anglais, avec un descriptif des triangles employés par les nazis)
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